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Mon expérience de l’horreur nucléaire

9 septembre 2013

Par Karipbek Kuyukov, Émission spéciale sur CNN

Karipbek Kuyukov est un artiste sans bras, survivant des essais d’armes nucléaires et Ambassadeur honoraire du projet ATOM, une campagne mondiale en vue de l’élimination des essais d’armes nucléaires. Cet éditorial est également disponible sur le site Internet CNN.com à http://globalpublicsquare.blogs.cnn.com/2013/09/25/my-experience-of-the-nuclear-horror/)

Au moment où les dirigeants mondiaux sont réunis à New York dans le cadre de la rencontre de haut niveau des Nations Unies sur le Désarmement nucléaire, j’aimerais faire passer un court message des survivants des essais d’armes nucléaires au Kazakhstan.

La question récurrente sur la nécessité de poursuivre la course aux armements nucléaire ou d’éradiquer les armes nucléaires a divisé l’opinion internationale. Les experts, les politiciens et les dirigeants mondiaux se sont toujours traditionnellement prononcés pour ou contre les armes nucléaires. En effet, Certains pensent que les armes nucléaires aident à préserver la paix, pourtant sûrement beaucoup d’autres pensent que ces armes sont un moyen le plus sûr de parvenir à une autre guerre mondiale et à l’éventuelle destruction totale du monde.

Néanmoins, bien qu’il y ait eu beaucoup de débats sur la question, peu de protagonistes de chaque côté se sont tournés  vers les victimes des essais et des explosions nucléaires pour des conseils. Nous avons beaucoup à dire et nous avons droit d’être entendus.

Je suis né en 1968, à environ 100 kilomètres du fameux site de Semipalatinsk qui était affecté aux essais nucléaires au Kazakhstan oriental où l’Union soviétique a procédé aux essais des centaines d’engins nucléaires pendant plus de quatre décennies. Je suis né sans bras, une conséquence terrible des radiations nucléaires sur la santé de nos populations. En grandissant, j’ai constaté que je n’étais pas seul.

J’ai vu des mères et des sages-femmes choquées en voyant d’autres bébés nés avec des anomalies congénitales. J’ai vu des familles trop embarrassées pour montrer leurs enfants à des tiers, les cachant à l’intérieur de leurs maisons et les sortant brièvement de la maison afin qu’ils prennent de l’air et s’exposent au soleil. J’ai vu des familles et des communautés entières décimées par des cancers dus aux radiations. Comme les Nations Unies l’ont remarqué, plus de 1,5 millions de personnes au Kazakhstan ont subi les effets des essais d’armes nucléaires soviétiques, qui ont duré de 1949 à 1991.

J’ai vu tellement de tragédies et de souffrances au cours de ces années au point où j’ai décidé pour ma part que je ferais le maximum pour m’assurer que ma génération soit la dernière à faire face aux conséquences douloureuses et irréversibles des essais d’armes nucléaires. Je suis devenu un activiste dans un mouvement contre les armes nucléaires et, aussi remarquable que cela puisse paraître pour une personne dans ma situation, j’ai embrassé la peinture dans l’espoir que mon art encouragera des personnes à l’action.

Aujourd’hui, je vois l’espoir et l’inspiration. Je pense que cette vision d’un monde entièrement sans essais d’armes nucléaires et sans armes nucléaires peut devenir une réalité. Il sera difficile de parvenir à un tel idéal, mais cela est pourtant possible.

La première lueur d’espoir pour moi est survenue en 1991, lorsque le Président Nursultan Nazarbayev du Kazakhstan a fermé le site de Semipalatinsk destiné aux essais nucléaires, défiant ainsi le Gouvernement soviétique à Moscou.

Puis sont arrivées les décisions prises par mon pays, ainsi que l’Ukraine, le Belarus et l’Afrique du Sud, de renoncer à leurs armes nucléaires ou à leurs programmes d’armes nucléaires dans les années 90.

Ensuite est arrivée l’ouverture en vue de la signature du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) en 1996. Depuis cette époque, 183 pays ont signé le traité et 159 pays l’ont ratifié. Mais le traité ne peut pas entrer en vigueur jusqu’à ce qu’il soit signé et ratifié par huit pays supplémentaires – la Chine, l’Égypte, l’Inde, l’Iran, Israël, la République populaire démocratique de Corée,  le Pakistan et les États-Unis.

Et c’est aux dirigeants de ces huit pays que mes camarades survivants des essais d’armes nucléaires et moi adressent notre demande en vue de la compréhension et du leadership. Nous sommes soutenus par des personnes originaires de plus de 100 pays qui ont déjà signé une pétition transmise à tous les dirigeants du monde exigeant d’arrêter définitivement les essais d’armes nucléaires en oeuvrant pour l’entrée en vigueur du TICE et en oeuvrant également pour un futur sans armes nucléaires.

La pétition – localisée aux présentes – fait partie de la campagne du projet ATOM en vue d’attirer l’attention internationale sur la nécessité de faire preuve de plus de leadership et de prendre des mesures résolues en vue de l’élimination de la menace nucléaire. N’importe quelle personne dans le monde peut signer la pétition et contribuer ainsi à l’instauration d’un monde sans armes nucléaires.

Depuis son lancement en août 2012, le projet ATOM a relaté les histoires des survivants des essais nucléaires dans plusieurs villes des États-Unis et en Europe. Partout où mes camarades et moi nous rendons – des organismes internationaux aux bureaux de hauts-fonctionnaires, aux cellules de réflexion en passant par des campus universitaires et des réunions communautaires – nous recevons des réactions enthousiastes et un message simple : Continuez à faire ce que vous faites ; le monde doit entendre votre histoire de sorte que les dirigeants mondiaux respectent leurs promesses d’agir pour arrêter la course aux armes nucléaires.

Ces encouragements nous donne la force de continuer.

Au 21ème  siècle, la sécurité mondiale demeure le problème majeur pour les personnes de notre planète. Je crois que nous devons réévaluer la possession d’armes nucléaires qui sont utilisées pour intimider plutôt que pour la sécurité du monde. Comment est-ce que quelque chose qui ôte en un instant les vies de millions de personnes peut-elle nous maintenir tous en sécurité ?

Aujourd’hui, vous pouvez prendre des décisions dont vos enfants et petits-enfants vous remercieront. Au nom des autres qui sont dans ma situation, je vous invite à être courageux et visionnaire et à trouver des moyens plus sûrs pour protéger vos peuples. J’aimerais vivement vous serrez la main et ressentir la chaleur de votre poignée de main, mais le passé nucléaire de notre pays m’a privé de cette occasion.